Les poupées de sucre du Mouled El-Nabi

Jeudi 07 Novembre 2019-00:00:00
' Père Gérard Viaud

Chaque année, avant le 12ème jour du mois de Rabie El-Aoual du calendrier de l'Hégire, réapparaissent les étalages des poupées de sucre du Mouled El-Nabi, une tradition très ancienne en Egypte.

Le 12ème jour du mois de Rabie El-Aoual, l'Egypte célèbre le Mouled El-Nabi, la naissance du Prophète. Quelques semaines auparavant sont apparus dans les rues des villes des étalages chatoyants garnis avec les poupées de sucre du Mouled El-Nabi, les cavaliers et les barques.

Ces statuettes de sucre sont préparées des semaines à l'avance dans les ateliers avec des moyens rudimentaires qui n'ont guère évolué depuis l'époque fatimide. Dans un grand chaudron de cuivre le sucre est mis à fondre avec de l'eau et il cuit jusqu'au moment où il arrive à une certaine consistance tout en restant légèrement liquide. Il est alors déversé dans les moules préparés à l'avance. Ces moules, une fois remplis, sont immédiatement plongés dans un grand bassin d'eau froide et ils sont rangés sur une table un certain temps, un quart d'heure environ, afin de laisser le sucre se solidifier. Les moules de bois sont composés de deux parties liées par des ficelles. Quand ils sont ouverts, ils laissent apparaître la statuette qui est ensuite décorée.

Les statuettes sont ensuite livrées aux mains des habilleuses qui les ornent et les décorent. Rangées sur des plateaux de bois, les statuettes attendent leur fignolage. La mise au point de l'habillage et de la décoration des statuettes est confiée à de jeunes artistes. Une fois prêtes, les statuettes sont rangées sur des étalages en attendant les acheteurs.

En Egypte, cette célébration du Mouled El-Nabi est implantée depuis de longs siècles et ses traditions populaires, toujours vivantes, montrent cette ancienneté.

Les festivités du Mouled El-Nabi dans le Caire fatimide, aux Xème et XIème siècles, étaient célèbres et elles attiraient des foules de toute l'Egypte. Les califes distribuaient des cadeaux au peuple, les princes et les notables comblaient aussi de présents leurs familiers, leurs serviteurs et les gens habitant dans le quartier de leurs palais.

Les foules n'étaient pas seulement attirées par le désir de recevoir quelque chose des grands, mais elles remplissaient les rues pavoisées du Caire, illuminées avec mille lampions, ornées de banderoles et de bannières où les boutiques étalaient de nombreuses friandises et des sucreries accompagnant obligatoirement cette célébration.

Les boutiquiers vendaient encore des pistaches entourées de sucre. Parfois, le marchand, pour attirer les clients, annonçait que l'une de ses pistaches contenait une petite boule en or. Les gens, pour tenter leur chance, achetaient des dizaines et des dizaines de pistaches, pensant y découvrir la petite boule en or. Peu nombreux étaient les chanceux, mais les marchands de pistaches faisaient fortune.

Les enfants, laissant les grandes personnes à leurs occupations trop intéressées, déambulaient dans les rues en portant leurs poupées de sucre et tenant en main, le soir, des lampions projetant des lumières aux mille couleurs. C'était la joie sur tous les regards. C'était la fête et l'allégresse.

Cette fête du Mouled El-Nabi fut instituée plusieurs siècles après la mort du Prophète Mahomet à la suite du développement d'une tradition hagiographique. Depuis l'époque fatimide en Egypte cette célébration est très populaire et c'est l'occasion d'échanger des vœux pour cet anniversaire et de lire en famille la vie du Prophète, la "Sira El-Nabaouia".

Ce jour de fête est aussi marqué par l'échange de cadeaux, de friandises, de sucreries et surtout ces fameuses poupées de sucre qui font la joie des petits comme des grands.

La fête du Mouled El-Nabi est ainsi celle de la joie partagée, du plaisir de recevoir et aussi de donner.

Ce sont les Fatimides qui introduisirent cette coutume des friandises et des sucreries pour le Mouled El-Nabi à partir du Xème siècle. Les Chrétiens avaient ces mêmes friandises pour la fête de la Nativité du Christ et ils continuent à s'en offrir pour les fêtes de Noël.

Les noms de ces friandises sont aussi nombreux que les espèces et elles se présentent sous forme de galettes rondes, de blocs carrés ou rectangulaires, grands ou petits, ou de bâtonnets.

Ainsi ces friandises sont multiples: semsemeïa parfois avec du foul soudani (cacahuètes), foulia, malban aux noix, malban au bondoq (noisettes), harissa avec des noix d'Inde, basima avec des noix d'Inde, batraquia, hammam aux noix, rouquia aux noisettes, rouquia aux cacahuètes, hommos avec du sucre, semsem avec des noix, ladida aux noix, etc...

A tout cela il faut ajouter les dattes et les figues sous forme de pâtes et toutes sortes de fruits confits ou secs. C'est ainsi une véritable avalanche de friandises qui envahit les villes et les villages d'Egypte pour commémorer la naissance du Prophète et marquer cet anniversaire dans la joie partagée.

Les friandises du Mouled El-Nabi sont le fruit d'une imagination créatrice des confiseurs qui ont su, jadis, ajuster des mélanges savants de fruits confits avec toutes sortes de graines odoriférantes et douces au palais. Ces anciennes traditions, apparues au Caire voilà plus de mille ans, se sont transmises de génération à génération.

A l'occasion de cette fête, les fameuses "Aroussat", ces poupées de sucre admirablement bien décorées de robes en papier, ces bateaux de sucre et ces chevaux et cavaliers de sucre blanc constituent les plus beaux éléments de tous les étalages. Les sucreries du Mouled El-Nabi ont un symbole:

- La poupée de sucre rappelle l'enfant qui vient de naître.

- Le cheval et son cavalier symbolisent celui qui répandait la foi en un Dieu unique, en combattant parfois pour la gloire et l'extension du règne de Dieu.

- Le bateau rappelle la vie qui se fraie un chemin à travers les vagues des difficultés.

L'anniversaire du Mouled El-Nabi rappelle non seulement la venue au monde de l'envoyé de Dieu, mais encore la fondation d'une société nouvelle qui se dégagea de l'idolâtrie pour entrer en relation immédiate avec le Dieu unique.