Avec « La Place de l’étoile » Modiano décrit Paris où il a flâné. Son point de départ est le réel qu’il a vécu et auquel il a ultérieurement mêlé le fictif. L’auteur, lui-même, affirme qu’il « part du concret pour aller vers la fiction ». Le concret est ici la partie autobiographique dont se nourrit l’histoire de Schlemilovitch. Ce dernier est un juif français ayant l’impression d’être le produit du chaos de la Seconde Guerre mondiale qui a imposé la solitude et la décadence morale. C’est un héros impuissant. Privé d’amour et de bonté, il est voué à l’errance.
Bien que le protagoniste ne porte pas le nom de Modiano, il lui ressemble. A l’écart de son père, il oscille entre ses origines juives et son désir de s’identifier à la société française. Ayant des « ancêtres orientaux », il se trouve isolé. Il nous informe : « Je ne suis pas un enfant de ce pays. Je n’ai pas connu les grand-mères qui vous préparaient des confitures, ni les portraits de famille, ni le catéchisme ». En lisant cette citation qui exprime la fragilité de son identité, nous nous rappelons celle de Georges Perec : « Je n’ai pas de souvenirs d’enfance ». Mais cette dernière annonce est une autobiographie négative, distinguée par le vide et l’absence.
Le texte fourmille de détails concernant la vie personnelle de Modiano. Celui-ci ne se contente pas d’attribuer à Schlemilovitch ses origines juives, mais il lui donne sa propre adresse, « la maison du quai Conti, au bord de la Seine ». Et quand le héros a tué son ami, Des Essarts, et en a porté le nom, usurpant son identité française, le romancier n’hésite pas à lui décerner sa propre date de naissance : « le 30 juillet 194 … » Bien plus, le protagoniste représente l’instabilité et la fragilité des liens familiaux. Il nous informe qu’il « avai[t] un père en Amérique ». Celui-ci s’installe à New York, oubliant son fils. Il ressemble à Albert Modiano qui a renoncé à sa responsabilité et son rôle paternel. Ce qui crée une société hostile où Schlemilovitch est déséquilibré, ayant des sentiments contrastés vis-à-vis de son père. Il l’aime et le déteste en même temps. Agé de dix-sept ans, il le rencontre pour la première fois, voit en lui un personnage ambigu et caricatural : « Mon père portait un complet d’alpaga bleu Nil, une chemise à raies vertes, une cravate rouge et des chaussures d’astrakan ». Le narrateur tente de remplacer son père faible et absent par d’autres pères spirituels tel Maurice Sachs. Cette relation père-fils nous fait penser immédiatement aux dires de Patrick Modiano : « En 1945, juste après ma naissance, mon père décide de vivre au Mexique. […] il quitte l’Europe après la guerre. […] il s’est beaucoup déplacé : le Canada, la Guyane, l’Afrique équatoriale, la Colombie … ».