Les mystères d’Osiris célébrés pendant le mois de kyahk

Jeudi 19 Décembre 2019-00:00:00
' Père Gérard Viaud

En Egypte, de nombreuses traditions anciennes survivent toujours, c’est le cas des mystères d’Osiris dont la célébration correspondait avec le mois de kyahk.

Le 10 décembre commence le mois égyptien de kyahk qui a une importance particulière dans la tradition copte et dans les coutumes populaires en Egypte.

Le mois de kyahk, en copte bohaïrique “koyak” et en saïdique “kiahk”, est le quatrième mois de l’année égyptienne et il tire son nom de Ka Ha Ka, c’est-à-dire le dieu du bien ou le taureau sacré connu encore sous le nom de boeuf Apis. Le 28 de ce mois de kyahk est célébrée la fête de la Nativité.

Jadis, le boeuf Apis était le symbole de la fertilité dans la procréation. Par la suite, il y eut une fusion entre le culte d’Apis et celui d’Osiris. Le dieu Ka Ha Ka est ainsi devenu une manifestation de l’énergie vitale dans la force créatrice et dans la conservation de la vie. Ce fut pour cela que les Egyptiens célébraient les mystères d’Osiris pendant ce mois de kyahk.

Jusqu’à nos jours, les mystères d’Osiris survivent dans les traditions égyptiennes du mois de kyahk avec la germination de graines. Les gens mettent du coton dans un plat et y placent des grains de blé, du foul, du maïs ou des lentilles et le tout est arrosé avec de l’eau afin que le coton soit bien humide. Ces graines vont germer et donner une belle décoration verte.

Ainsi, chaque année, de nombreuses familles, surtout coptes, procèdent à cette opération pendant le mois de kyahk qui prépare à la fête de la Nativité célébrée le 25 décembre chez les Catholiques et le 7 janvier chez les Coptes.

Jadis, en cette même période du mois de kyahk, les Egyptiens célébraient les mystères d’Osiris, le dieu martyr. Ils confectionnaient des statuettes de terre humide et y plaçaient des grains de blé qui germaient. Ces statuettes recouvertes de verdure devenaient ainsi le symbole d’une nouvelle vie pour Osiris, une sorte de résurrection.

L’égyptologue Auguste Mariette, dans son livre “Dendera IV”, avait noté ce qui suit à ce sujet: “Des représentations des mystères publics nous apprennent que leur thème fondamental était l’immortalité, même confrontée à la mort inhérente dans chaque créature. Il n’y a pas de mort finale, mais des changements d’état à travers une série de genèses, de la graine au fruit qui devient graine à nouveau. Lorsque le roi coupait lui-même le rouet avec sa faucille dorée durant la moisson, cela représentait la mort d’Osiris. Le battage évoquait le démembrement par Seth (du corps d’Osiris), alors que le semence était son enterrement”.

Ces mystères d’Osiris étaient célébrés chaque année par les Egyptiens en faisant germer du blé dans les statuettes de terre afin de symboliser la résurrection du dieu dont le corps avait été dépecé par Seth et dont les morceaux avaient été éparpillés en Egypte.

Les Chrétiens d’Egypte, héritiers de ce rite osiriaque comme de beaucoup d’autres traditions anciennes, préparent donc la célébration de la naissance du Christ en faisant germer des graines, ce qui est une invitation à renouveler leurs vies et leurs sentiments avant la fête de Noël... comme un grain de blé qui meurt en terre afin de donner un bel épi. Les “Osiris végétants” de l’Egypte ancienne se retrouvent ainsi toujours dans l’Egypte moderne.

Pendant tout ce mois, des célébrations spéciales se déroulent dans les églises avec la “psalmodie de kyahk” qui est une louange spéciale en l’honneur de la Vierge Marie au cours desquelles revient sans cesse la formule copte: “Chéré né Maria”, salut à toi ô Marie... Cette psalmodie est composée de lectures, de chants, des quatre cantiques annuels de la Bible et des sept Théotokies, une pour chaque jour de la semaine. Cette louange de kyahk s’appelle populairement “les quatre et les sept”, car sont chantés les quatre cantiques annuels de la Bible et les sept Théotokies de la semaine.

Ces louanges de kyahk sont très imagées, parfois étranges et excentriques, utilisant des formules mystérieuses, presque magiques, où le copte est mêlé avec plaisir avec l’arabe. Beaucoup de ces textes liturgiques ont été composés aux XVIIIème et XIXème siècles, bien que les Théotokies soient beaucoup plus anciennes étant attribuées au patriarche Athanase d’Alexandrie au IVème siècle. Parfois, certaines formules de ces textes ressemblent plus à des incantations qu’à des louanges.

En effet, selon un auteur copte du XIVème siècle, Aboul Barakat Ibn Kabar (mort en 1321), la composition des sept Théotokies est attribuée à Athanase l’Apostolique alors qu’il était patriarche d’Alexandrie au IVème siècle, tandis que les mélodies de ces Théotokies furent composées par un potier qui était moine, à cette même époque, au désert de Scété.

Ainsi, pendant ce mois de kyahk, les églises coptes abandonnent la routine ordinaire pour ouvrir le grand livre de la “psalmodie de kyahk” et elles quittent les tons annuels pour adopter les tons adam et watos jusqu’à la vigile de la fête de la Nativité.

Certaines églises célèbrent cet office du mois de kyahk chaque soir, tandis que d’autres bloquent le tout, c’est-à-dire les sept jours de la semaine, dans la nuit du samedi au dimanche et les fidèles passent alors toute la nuit dans ces églises.

Ces longues vigiles nocturnes ont un aspect très familial, surtout dans les églises des villages et des petites villes. Comme ces nuits du mois de kyahk sont froides, les fidèles se réchauffent autour d’un brasero placé au milieu de l’église et boivent du thé pendant que l’office se déroule. Ce sont pratiquement les chantres et les diacres qui chantent et font les nombreuses lectures, rivalisant entre eux afin de donner la meilleure exécution possible.

Cette période du mois de kyahk coïncide avec le jeûne de la Nativité qui commence 43 jours avant la fête. Selon la tradition, ce jeûne commémore celui de la Vierge Marie. Alors qu’elle en était à son septième mois et demi de grossesse, beaucoup, dont Joseph, lui adressaient des reproches car ils ne savaient pas comment elle s’était trouvée enceinte. Alors elle se mit à jeûner pendant quarante jours avant de mettre au monde son fils.

Plus tard, trois jours furent ajoutés à ces quarante jours de jeûne en souvenir du miracle de la translation de la montagne du Mokattam qui surplombe la ville du Caire au temps du calife fatimide Moëz Lidine Illah et du patriarche Abraham le Syrien au Xème siècle.

Une autre tradition rapporte que ces trois jours de jeûne furent rajoutés pour compenser une dispense canonique accordée aux Coptes pour les mariages à la quatrième génération, c’est-à-dire entre cousins germains.

Le jour de la fête de la Nativité, les Coptes s’offrent mutuellement, lors de leurs visites, des ka’ks et des biscuits (sortes de gâteaux) avec d’autres graines qu’ils auront mis à germer pendant le mois de kyahk, encore un autre souvenir des mystères osiriaques.

Le mois de kyahk est celui du solstice d’hiver pendant lequel les jours sont très courts, ce qui a inspiré ce proverbe populaire: “En kyahk, ton matin est ton soir”.

Beaucoup d’Egyptiens en faisant germer des graines pendant le mois de kyahk ignorent qu’ils poursuivent ainsi une très ancienne coutume pharaonique de la célébration des mystères d’Osiris.