L’art ancien de la céramique subsiste toujours en Egypte (1)

Jeudi 29 Novembre 2018-00:00:00
' Père Gérard Viaud

Parmi les anciennes traditions artisanales et artistiques qui subsistent toujours en Egypte, celle de la céramique tient une place toute particulière et fait partie du patrimoine légué par l’Egypte pharaonique. La céramique est vieille comme l’Egypte où elle est née et ses progrès à travers l’histoire sont le témoin inaltérable des progrès intellectuels et matériels de l’humanité.

L’Egypte, depuis des temps très anciens, produisait des poteries mates, lustrées, à glaçures colorées, révélant une technique habile qui se retrouva, par la suite, chez les Chaldéens, les Assyriens et les Perses.

Ces poteries en céramique produites en Egypte se classaient en deux catégories selon la nature de la pâte cuite: les poteries poreuses et les récipients imperméables. Les bases de ces pâtes de céramiques étaient composées d’argile le plus pur possible avec des éléments de dégraissage comme le sable, le quartz, le feldspath et la craie. Ces deux derniers éléments fondaient à haute température et provoquaient la vitrification des pâtes. Tous ces produits, mélangés avec de l’eau, étaient délayés et malaxés dans de grands récipients de pierre, sortes de mortiers. La pâte relativement liquide était ensuite coulée dans des moules et les pièces ainsi façonnées étaient introduites dans des fours. Le décor de ces pièces ainsi obtenues se faisait par la suite avec des couleurs provenant du cuivre pour le vert, de la turquoise pour le bleu, du manganèse pour les violets, du corail pour le rose, de l’or, etc...

En Egypte, le vase Canope pour conserver les parties viscérales de la momie ou les statuettes Tanagra d’Alexandrie sont des exemples de ces céramiques.

Cet art de la céramique n’a jamais cessé d’exister à travers les différentes époques de l’histoire égyptienne et il suffit de visiter le Musée des antiquités égyptiennes, le Musée copte, le Musée d’art islamique ou le Musée gréco-romain pour se rendre compte de la richesse et de la beauté de ces céramiques.

Cet art a subsisté jusqu’à nos jours, mais avec des méthodes très perfectionnées en plusieurs usines dont j’ai visité l’une d’elles. Cette usine avait été créée en 1989 sur une superficie de 80.000 mètres carrés. Elle produit actuellement 9.000 mètres carrés de céramiques par jour et cette quantité sera portée à 20.000 mètres carrés. Cette usine, entre la direction, l’administration, les ingénieurs et les ouvriers emploie 400 personnes. Une partie de la production est écoulée en Egypte en de nombreux points de vente ou à des particuliers et une autre partie est exportée vers les pays étrangers. Cette usine travaille vingt quatre heures sur vingt quatre avec trois équipes à raison de 8 heures de travail quotidien.

Visiter une telle usine, depuis les produits de base jusqu’à la finition des carreaux en céramique, est impressionnant. Reçu par le directeur de l’usine, l’ingénieur Sayed Essa, il me confia à l’ingénieur Amir pour cette visite. Les produits de base sont le tafla d’Assouan, le feldspath, le limestone (calcaire ou pierre à chaux) et le sand, du sable pour verre en provenance de la mer Rouge.

Ces quatre éléments sont d’abord placés ensemble dans un appareil appelé “mizan” où ils vont être mélangés et mixés. Cet appareil reçoit, chaque fois, 14 tonnes de produits de base qui sont mélangés à 8.000 litres d’eau pour le mixage et, après 11 ou 13 heures, il en sort un liquide brunâtre qui est acheminé vers un autre appareil  d’où sortent des plaquettes solidifiées, mais encore friables. Chaque plaquette sort de cette sorte de presse et est acheminée vers le four. Mais en cours de route cette plaquette va subir des transformations: impression du dessin, colorations diverses, équarrissage des côtés, vernissage, etc... jusqu’au four de 55 mètres de longueur dans lequel la plaquette restera environ 45 minutes. Elle sort du four toute brûlante et reluisante. A travers différentes étapes de finition et de refroidissement, cette plaquette va rejoindre les autres, celles qui l’ont précédée dans ces mêmes opérations, pour achever sa course dans un carton fait à sa dimension qui, lorsqu’il est plein, est fermé et prêt au départ vers le dépôt ou les camions de transport.

Certaines pièces de céramiques vont recevoir une décoration spéciale dans un atelier de décor. Là, tout relève de l’art pour donner à ces pièces des décors floraux ou animaliers, parfois pharaoniques ou géométriques. Dans cet atelier, rien n’est mécanique, car tout le travail de décoration se fait à la main avec des calques en provenance d’Espagne et d’Italie. Un four, dans cet atelier, permet de fixer les couleurs sur les pièces de céramique.

A la suite de l’article publié dans le Progrès Magazine du 26 mai dernier, M. Fernand Debono a bien voulu communiquer une étude prouvant l’ancienneté de la céramique en Egypte.

Il s’agit d’une étude très technique sur l’atelier local d’El-Omari situé dans la région de Hélouan au sud du Caire. Cet atelier appartient au groupe culturel prédynastique de la Basse-Egypte remontant aux années 4360 et 4110 avant Jésus-Christ.

Selon les analyses et les études qui ont été faites sur les pièces de céramique trouvées sur le site d’El-Omari, plus particulièrement des vases, une intensité de cuisson de 700 à 900 degrés était nécessaire pour leur cuisson.

La pâte de ces céramiques était faite à partir de l’argile locale, une argile calcaire extraite du gisement du site ou du ouadi voisin. Cette pâte était préparée avec de l’eau provenant des bassins naturels environnants. De la paille de papyrus était introduite dans cette pâte comme dégraissant. Une poudre ocreuse était adjointe à cette pâte dans le but de réduire la porosité et d’accroître la solidité des vases.

Le papyrus, dont était extrait la paille, appartenait à la famille du Cyperus Papyrus L. qui poussait dans la région du site d’El-Omari. Cette paille de papyrus était extraite des tiges filiformes qui couronnaient les tiges du papyrus. Ces parcelles étaient séchées et se brisaient facilement pour former de la paille très fine. Ces mêmes fragments de papyrus ont été retrouvés dans les céramiques d’Héliopolis et de Méadi qui sont postérieures de cinq cents ans à celles d’El-Omari.

Quant à l’englobe et au lissage de la céramique le système classique semblait ignoré dans l’Egypte de jadis. Ce système classique de l’englobe consistait en un enduit rouge ocreux, très dilué dans l’eau, ou barbotine (argile délayée pour la céramique de base), appliqué sur la surface du vase. Mais à El-Omari, le vase sec ou légèrement humide était frotté avec une pierre ocreuse, suffisamment friable pour laisser sur l’objet une trace adhérente et légèrement brillante. Le polissage était obtenu avec un caillou lisse, après la cuisson, et ce polissage rendait l’objet encore plus brillant. Ce traitement de surface contribuait aussi à renforcer l’imperméabilité du vase. Des cailloux polis ont d’ailleurs été retrouvés à El-Omari.

L’ocre provenait du Djebel Ahmar (la montagne rouge) à un quarantaine de kilomètres au nord de Hélouan, où se trouvait une industrie lithique (industrie de la pierre) semblable à celle d’El-Omari. Des meules étaient indispensables pour broyer l’ocre en quartzite rouge (grès à ciment siliceux).

Aucune trace de fours n’a été retrouvée dans la région d’El-Omari. Il devait sans doute s’agir de fosses à demi enterrées dans le sol.

Cette étude de M. Fernand Debono fait ainsi remonter l’art de la céramique bien avant les premières dynasties pharaoniques en Egypte. Cette industrie de la céramique existe toujours dans le pays, mais avec des systèmes très perfectionnés dans quelques usines, comme à Kom Ouchim au Fayoum, et suivant toujours les mêmes étapes de production: fabrication de la pâte, coloriage, lissage, vernissage, cuisson et finition. Se référer aux Cahiers de la céramique égyptienne, tome 3, 1992).