A la demande de Mohamed Ali, trois Français contribuèrent à la création de la marine de guerre égyptienne: de Cérisy, le Lethellier et Besson.
En 1829, le roi de France Charles X avait mis à la disposition de Mohamed Ali un ingénieur de la marine française pour créer une marine égyptienne moderne en Egypte. Cet ingénieur, Louis Charles Lefébure de Cérisy, débarqua à Alexandrie le 12 avril 1829.
En 1824, une première escadre égyptienne avait été construite dans les arsenaux de Marseille et de Bordeaux en France et l’Egypte possédait alors quatre frégates appelées l’Ihsonia, la Soureya, le Leone et la Guerrière. Cette dernière frégate portait le pavillon du commandant de la flotte l’amiral Moharrem bey.
Cette première escadre égyptienne était complétée par neuf corvettes, quatre bricks, six goélettes et une quarantaine de bâtiments de transport.
Malheureusement, cette première escadre fut détruite lors de la bataille navale de Navarin le 20 octobre 1827.
Ce fut alors que Mohamed Ali décida de construire une nouvelle escadre, mais cette fois en Egypte. Il fit appel au roi de France Charles X qui lui envoya l’ingénieur de Cérisy.
La première tâche de Cérisy fut de trouver un emplacement pour construire un arsenal à Alexandrie. Il ne fut pas question de construire cet arsenal dans le Port-Est qui était plus ou moins ensablé et Cérisy trouva un emplacement idéal à l’ouest de Ras El-Tine où les fonds était couverts d’une vase molle qu’il serait facile à enlever avec des dragues. Cérisy établit alors les plans du futur arsenal qui furent signés le 9 juin 1829 par Mohamed Ali et il se mit aussitôt au travail.
Deux mille ouvriers de toutes les provinces d’Egypte furent réquisitionnés. C‘étaient de simples paysans habitués seulement aux travaux des champs. Ils avaient comme contremaîtres des artisans qui savaient manier des outils. Pour diriger tout ce monde, Cérisy fit appel à une vingtaine de charpentiers, de pareurs ou de traceurs de l’arsenal de Toulon.
Rapidement, des hangars se dressèrent, des cales furent creusées et des magasins édifiés. Les cordiers, pendant ce temps, tressaient leurs premières aussières et les calfats préparaient leur goudron.
Cérisy se révéla un organisateur de génie et sa joie de travailler sur un terrain net où rien ne venait limiter ses initiatives lui fit faire des merveilles à la grande satisfaction de Mohamed Ali. Il était tellement occupé qu’il écrivait: “Jamais ingénieur n’a été occupé comme je suis. Je suis à la fois directeur des constructions, directeur général de l’arsenal, directeur de l’artillerie, directeur des ponts-et-chaussées, directeur de l’administration, maître-ouvrier de toutes des professions...”.
Sa corderie pour fabriquer les aussières, les filins et les cordages était trois fois plus grande que celle de Toulon et pour son approvisionnement toute la province de la Béheira cultivait du chanvre. Cérisy fit ramasser tous les vieux canons qui étaient abandonnés un peu partout en Egypte et il les fit fondre pour les transformer en clous afin de cheviller les charpentes des futurs navires. Les ateliers de tissage de Rachid travaillaient jour et nuit pour tisser les voiles qui garniraient les futurs mats des frégates. Il fit venir du bois d’Europe et même du Canada.
L’arsenal d’Alexandrie, une fois achevé, pouvait rivaliser avec les plus beaux établissements de ce genre dans les pays étrangers.
Au mois de janvier 1831, le premier vaisseau, portant cent canons, fut lancé à Alexandrie. Ce premier lancement fut suivi par une série de vaisseaux de ligne dont le plus important fut le Masr, avec trois ponts et portant 134 canons.
En 1833, l’escadre de guerre égyptienne se composait de sept frégates, de quatre corvettes, de sept bricks et de trente-cinq autres bâtiments divers. Cette flotte pouvait mettre en ligne 1.209 canons et elle était montée par 12.000 matelots et 520 officiers. Cérisy créa une école de marine à bord des vaisseaux amiral et contre-amiral.
Parmi les plus célèbres bâtiments de guerre de cette escadre, il faut mentionner le Masr, l’Acri, le Mehallet El-Kébir, le Mansoura, le Scanderieh, l’Alep, le Damas, etc...
Pour réaliser tous ces travaux, Cérisy était très bien secondé par deux marins français de grande valeur Besson et Lethellier.
Ce dernier, au début de la construction de l’arsenal, avait dit à Besson: “Mon cher ami, nous allons refaire une marine égyptienne... aucune flotte de la Méditerranée ne l’égalera”. La belle réalisation de l’arsenal et de la nouvelle escadre lui donna raison.
En dix-huit mois, la flotte égyptienne était prête pour effectuer ses premières manoeuvres qui devaient se dérouler au large d’Aboukir. Tout allait pour le mieux et Mohamed Ali était pleinement satisfait de cette grandiose réalisation, la plus belle flotte de la Méditerranée, la mieux équipée et la plus perfectionnée.
Les grandes manoeuvres navales pouvaient commencer. Un matin, Lethellier embarqua sur un petit canot pour aller rejoindre la flotte mouillée au large d’Aboukir. La mer était houleuse et les marins déconseillèrent Lethellier de s’aventurer sur une si frêle embarcation. Courageux et vaillant marin qui avait vu d’autres dangers, Lethellier partit quand même sur le fragile canot bien que la mer était démontée entre la pointe d’Aboukir et la flotte égyptienne. Mais une forte lame renversa le canot et Lethellier périt noyé en mer. Il ne vit pas les résultats de l’oeuvre à laquelle il avait participé. Apprenant la nouvelle de la mort de Lethellier, Mohamed Ali fut profondément affecté de cette perte. Il demanda de lui faire des funérailles nationales. La dépouille de Lethellier repêchée fut portée sur un fût de canon dans les rues d’Alexandrie. Le souverain exprima au consul de France tout le chagrin que lui causait cette disparition. Un Français au service de l’Egypte était ainsi mort tragiquement.
En 1835, voyant que la flotte qu’il avait construite prendre ses quartiers d’hiver à Alexandrie, de Cérisy écrivit à un ami: “L’escadre égyptienne va avoir 8 vaisseaux de cent canons et 7 frégates de premier rang, elle est capable de détruire la marine turque si on laissait les deux marines se frotter ensemble”. L’arsenal achevé, Mohamed Ali aurait voulu retenir de Cérisy en Egypte, mais son épouse était à couteaux tirés avec Mme Besson et il préféra regagner la France. Il partit regretté de tous, surtout de Mohamed Ali qui l’avait fait bey et lui avait donné le grade de vice-amiral.
De Cérisy travailla pendant deux années avant de prendre sa retraite et il mourut en 1867 après s’être fait une nouvelle réputation comme entomologiste. Quant à Besson bey, amiral et instructeur de la flotte égyptienne, il imprima aux officiers et aux matelots une discipline et un entraînement minutieux. Mais en 1836, la peste éprouva durement la marine égyptienne et l’amiral Besson bey organisa une grande croisière pour tenter de guérir les équipages. Ce fut la dernière fois qu’il fit flotter sa marque un vaisseau égyptien. En effet, le 13 septembre 1837, frappé à son tour par l’épidémie de la peste, il mourut à bord de son navire amiral.
La mort de Besson bey marqua la fin d’une période de l’histoire de la marine égyptienne avec trois Français, Lethellier, de Cérisy et Besson, qui dotèrent l’Egypte d’une marine digne de celles des plus grandes puissances méditerranéennes.