Gestes barrières, couverts en plastique et masques ont chamboulé cafés, restos et cinés

Dr Nesrine Choucri Samedi 19 Septembre 2020-09:47:03 Chronique et Analyse
Gestes barrières, couverts en plastique et masques ont chamboulé cafés, restos et cinés
Gestes barrières, couverts en plastique et masques ont chamboulé cafés, restos et cinés

Se divertir ou changer d’air est un des luxes des temps modernes. Même dans le passé, l’être humain, même trop préoccupé par le travail, a cherché quand-même à changer d’air et à profiter de son temps libre. Les plus riches pratiquaient la chasse, d’autres s’intéressaient à la lecture. Pour ceux qui avaient vraiment de la chance, il y avait le théâtre et l’Opéra. Avec l’arrivée graduelle de la technologie de pointe, l’homme a pu savourer quelques loisirs chez lui. Sur son sofa, son lit, ou encore dans son fauteuil, il trouve un grand plaisir à suivre un film, une pièce de théâtre ou encore un concert inédit sans le moindre effort. Il y a aussi les longues journées à passer en plein air entre cafés, restaurants et cinémas à se balader et à profiter d’un temps agréable et clément. Des habitudes construites au fur et à mesure du vingtième siècle et ancrées au cours du siècle actuel. De nos jours, se divertir à  l’intérieur comme à l’extérieur n’est plus un luxe, ce n’est plus optionnel, c’est plutôt un mode de vie remis en cause par la crise sanitaire mondiale du coronavirus.  

 

 

 

L’être humain a toujours cherché à enregistrer les moments importants de son histoire depuis l’homme préhistorique jusqu’à nos jours. Evidemment, il s’est constamment adapté au changement de la planète autour de lui. Sur les murs des grottes, l’homme préhistorique a laissé la trace de ses aventures de chasse des animaux dont il se nourrissait. C’était à la fois une source d’alimentation, d’habillement, mais aussi l’unique sport et préoccupation qu’il connaissait. Petit à petit, au fur et à mesure que l’humanité s’adaptait à la planète, les formes de divertissement ont commencé à être variées : histoire racontée oralement d’une génération à l’autre, dessin, sculpture, peinture, théâtre, spectacle, chant et musique.  

Une petite balade dans un musée permet de découvrir que dans le monde entier, chaque peuple avait ses modes de tradition diverses. En Egypte, sur les murs des temples pharaoniques, la musique, les sorties en plein air, la vie sociale sont quasi-omniprésentes. Nos ancêtres étaient de bons vivants et nous ont laissé cette envie ardente de vivre dans les veines. Au fil du temps, l’humanité, notamment avec le début du vingtième siècle, puis plus tard dans les années 60 et 70, a commencé à prendre le goût des sorties, de manger à l’extérieur, de s’installer dans les restos et les cafés. Ce n’était plus un privilège réservé aux hommes, ni aux riches. Graduellement, à Paris, à Rome comme au Caire, c’est devenu un mode de vie pour se voir, se rencontrer, papoter, parfois même une échappatoire face au stress. Le Caire, la ville aux mille minarets, qui n’aime point se coucher, a également participé à propager grandement ce mode de vie. Puis, les grands écrivains de l’époque moderne, étaient des gens qui s’installaient le plus souvent dans un café célèbre pour siroter une boisson chaude tout en créant un univers magique et différent, comme le grandissime Naguib Mahfouz.  

Qui de nous n’est pas allé se ressourcer dans un coin de café et à l’abri du monde entier ? Avec le coronavirus, la planète entière s’est confinée : là les Egyptiens, comme tous les habitants de la planète ont expérimenté une situation difficile. Rester cloîtré derrière les murs épais de leurs maisons : leur vie extérieure et nocturne était au point mort. Pendant des mois, ils se demandaient si la vie d’antan va revenir et le mois de Ramadan 2020 s’est déroulé dans le plus grand silence : peu d’invitation, pas d’iftar, ni de sohour à l’extérieur. Bref, les traditions construites au fil des années se sont estompées en l’espace de quelques temps.  

A la réouverture, partout dans le monde, de nouvelles mesures ont été prises : 25% de taux d’occupation des cafés et des restaurants. Il en est de même pour les cinémas. Puis, ce taux a augmenté à 50%. Peu importe le taux : beaucoup d’éléments ont connu de changements. Les regroupements au-delà de cinq personnes ne sont pas tolérés à table. Les gens appliquent le plus souvent la loi par éviter de contracter la maladie. Dans les cafés, et les restaurants, la majorité des couverts de luxe ont disparu et ils ont été remplacés par d’autres en carton ou en plastique. Moins beaux, plus pratiques.  

A chaque fois qu’on s’installe dans un café, on est surpris par la même chose et on pense avec nostalgie au couvert luxueux d’antan. On rêve un peu comme si cela se passait depuis bien longtemps. Beaucoup de cafés servent les boissons à l’extérieur uniquement. Et, en général, les Egyptiens qui évitent les lieux ouverts en été vu la chaleur torride de juillet, août et septembre ont opté pour les terrasses et les rayons de soleil pour éviter de rester dans un lieu fermé et pour éviter le risque de la maladie.  

Quant aux serveurs, leur profil a beaucoup changé. On ne voit plus les sourires de l’avant-coronavirus. On voit des masques majoritairement noirs ou bleus qui cachent soigneusement les visages, ne laissant que des yeux illuminés par le retour au travail après des mois au chômage. Et, le sourire vous le ressentirez surtout dans le ton de leur voix, la chaleur de l’accueil « distant », tout un monde qui s’écroule pour être remplacé par un autre.  

Dans les cafés populaires, les jeux de société ont disparu. Plus de dominos, ni d’échecs, pas même de simples cartes. Aucune partie de jeux ne sera cet été ! Et, pour les amateurs de chicha ou de narguilé, il faudra bien attendre. D’ailleurs, beaucoup d’Egyptiens non-fumeurs se sentent plus à l’aise dans les lieux publics en l’absence de chicha ou de cigarettes. En effet, certains sont même allés jusqu’à demander le non-retour de la chicha. L’air condensé de vapeur des cafés d’été a été remplacé par un air frais et pur.  

Si dans le temps, les lieux de divertissement vantaient la qualité de leur climatiseur en plein été. Aujourd'hui, il y a un autre type de marketing : nous disposons de lieu ouvert non-climatisé, à l’ombre et par conséquent anti-coronavirus. L’odeur du parfum aux roses et aux jasmins a été remplacée par des désinfectants et de l’alcool qui vous percent dans certains cas les narines, un élan de zèle qui rappelle les gestes barrières et les mesures préventives anti-covid-19.  

Tout est repensé : la façon de s’installer, les couverts, les tables, la façon de les débarrasser qui devient parfois un geste méticuleux et presque aussi précis qu’une expérience scientifique. Plastifier, couvrir, désinfecter sont des actions à l’ordre du jour. Et, des gestes qui auraient passé inaperçus captent de nos jours l’attention, soulèvent parfois la colère et sont à l’origine de grimaces : c’est surtout le cas de jeunes imprudents qui se rapprochent et cherchent à se faire la bise. Dans les hôtels, le buffet « ouvert » a disparu et tout le monde est servi à part. Plus de longues queues devant un plat de pâtes, un rôti de viande, ou une salade verte. Restez assis, loin l’un de l’autre et vous serez servis sans problème. Restez à l’écart devient soudain l’emblème.  

Les centres commerciaux ou fameux « malls » se montrent rigides sur le port du masque. Pour passer la porte royale d’un centre commerciale, vous devez impérativement porter un masque, et soumettre votre front au thermomètre. Sans cela la porte d’Ali Baba ne s’ouvrira pas et vous n’aurez pas accès à vos lieux préférés.  

Et les cinémas ? Moins de personnes les fréquentent par rapport aux années précédentes. On reste prudent. Beaucoup sont nostalgiques des salles de cinémas estivales qui ont disparu depuis plusieurs années. En effet, il y a une décennie ou deux, les Egyptiens pouvaient en été se rendre aux salles de cinéma estivales à ciel ouvert et par conséquent parfaitement aérés. Seul inconvénient : pas de climatiseur. Comme il n’y avait pas de toit et que les rayons du soleil pouvaient empêcher la projection du film et le confort des spectateurs, les films étaient uniquement projetés la nuit. Ces cinémas ont disparu cédant leur place à d’énormes complexes cinématographiques luxueux et confortables où tout (écran, son, climatiseur, siège) est calculé et où rien n’est laissé à la coïncidence sauf évidemment que nul n’avait songé au coronavirus. Cette nostalgie des cinémas d’été a rappelé que l’on peut toujours renouer avec les traditions et vivre de manière plus simple pour se divertir.  

Dans certains pays- pas l’Egypte pour le moment- le cinéma des « automobiles » a gagné du terrain et on pense que c’est une bonne technique de distanciation. Des idées très ambitieuses et aussi romantiques sont constamment proposés : projeter des films et les regarder à partir de barques nilotiques, créer des cabanes en plastique où chaque groupe pourrait s’isoler de l’autre durant le visionnement d’un film. 

Les clubs sportifs ne font pas exception à la règle et beaucoup ont refusé même à leurs membres l’accès à la piscine. Et oui, cet été, la baignade ne sera pas à la portée de tous les membres : les uns en profiteront, les autres non. Aussi, les restaurants des clubs ont préféré majoritairement proposer des plats à emporter, vous pourrez les déguster sur un banc dans un jardin, mais dans un bâtiment clos.   

Quant à l’Opéra du Caire, il a préféré cet été présenter ces spectacles en plein air : jardins, musique, chants ou danse contribuent à créer une magie inégalable.  

Bref, le coronavirus pourrait libérer les Egyptiens de l’emprise du climatiseur et nous faire redécouvrir les liens ouverts ou à ciel ouvert qui ont quand-même un charme particulier en été. Seule préoccupation, il y a quand-même trop de couverts en plastique, et de plastification à un moment où l’humanité cherche à se libérer de l’emprise du plastique et se reconvertir au vert. Décidemment, le coronavirus complique des choses et en facilite d’autres ! Reviendrons-nous à nos pratiques d’avant le virus ? Est-ce que ce dernier va changer l’art de la restauration mondiale ? Autant de questions que seules les prochains pourraient y répondre.  

 

Sources :  

https://www.geneve-int.ch/fr/organisation-mondiale-de-la-sant-oms-1

Page Facebook du ministère égyptien de la Santé et de la Population. 

Page Facebook du ministère égyptien du Tourisme et des Antiquités.  

www.youm7.com

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