Le mot Choubra est l'arabisation du terme copte "Djebro" ou "Sapro" qui signifie " campagne". En effet, après la construction du Caire au Xème siècle et ses développements successifs, toute la région au nord des remparts de la ville était une campagne avec des jardins, des champs et des marécages.
Parmi les palais de la campagne de Choubra, se trouvait celui de Anga Hanem, encore appelée Sughe Hanem. Cette dame était la descendante d'une famille d'émigrés d'Anatolie qui était venue s'installer en Egypte au XVIIIème siècle. Comme beaucoup de Turcs anatoliens, cette famille commerçait dans le bois et le tabac. Tout autour de la résidence de la famille d'Anga Hanem se trouvaient des magasins et des dépôts. L'ampleur des écuries de cette maison témoignait de la richesse de cette famille.
Anga Hanem avait été mariée au vice-roi Mohamed Saïd pacha, un des fils de Mohamed Ali. Il monta sur le trône en 1854 et mourut le 18 janvier 1863. A la mort de Mohamed Saïd pacha, Anga Hanem se retira dans la maison familiale de Choubra devenue un véritable palais. Elle y resta jusqu'à sa mort. Ce fut alors que le palais fut mis en vente en 1893.
Au début de l'année 1893, le palais d'Anga Hanem fut mis en vente. Une pancarte avait été placée devant la masse imposante du palais. Elle indiquait: terrain à vendre, s'adresser au 10 de la rue Soliman pacha au Caire. Les Pères des Missions Africaines cherchaient alors à s'établir au Caire ou près de la ville.
Le vicaire apostolique latin d'Egypte, Mgr Ciurcia, avait une fois déclaré à Rome au supérieur général des Missions Africaines, le Père Augustin Planque, que les Franciscains étaient en nombre insuffisant en Egypte. Les responsables romains de la Congrégation de la propagande de la foi pensèrent alors partager le Caire et Alexandrie en deux pour les Franciscains et les Missions Africaines. Mais cette idée fut rejetée par les Franciscains en Egypte. Ils ne concédèrent aux Missions Africaines qu'une partie du Delta avec les villes de Tanta et Zagazig notamment.
Avec le successeur de Mgr Ciurcia, les choses se compliquèrent. Le nouveau vicaire apostolique latin d'Egypte, Mgr Chicaro, refusa l'établissement des Missions Africaines, non seulement au Caire mais encore à proximité de la ville, précisément à Choubra. Mais Choubra n'était pas le Caire. En effet, cette région appartenait à la province de Qalioubieh. Le directeur au ministère des Finances, M. Chakour bey, qui demeurait à Choubra, rassura les Pères des Missions Africaines en leur affirmant que Choubra faisait bien partie de la Qalioubieh. Les impôts fonciers et les droits de vente se payaient au chef-lieu de cette province et non au Caire. D'ailleurs, quand les Cairotes demandèrent au gouverneur du Caire, en 1893, de paver l'allée de Choubra, il leur fut répondu qu'ils devaient s'adresser aux responsables de la Qalioubieh.
De son côté, le directeur au ministère des Travaux publics, M. Barrois, remit aux Pères des Missions Africaines une carte où étaient indiquées les limites du Caire et de la Qalioubieh. Choubra était bien dans cette province.
Avec tous ces renseignements, le préfet apostolique pour le Delta, le Père Augustin Duret, mit au courant le Père Planque à Lyon qui transmit le dossier à Rome et concluait : "En cet état de choses, nous n'avons pas hésité à acheter à Choubra une maison très vaste qui nous permettra d'y mettre notre séminaire et d'autres oeuvres importantes. Elle s'est vendue le 9 mai devant le tribunal d'Alexandrie et le Père Duret, préfet du Delta, en est resté adjudicataire".
Le contrat d'achat de la propriété d'Anga Hanem fut exécuté en vertu du jugement rendu par la Chambre des criées du tribunal mixte d'Alexandrie le 9 mai 1893.
Le palais d'Anga Hanem acheté, il fallait le remettre en état pour recevoir ses nouveaux hôtes, en l'occurrence quelques Pères des Missions Africaines et les séminaristes qui se trouvaient à Mahalla El-Kobra, dans le Delta, depuis 1892. Mais pour cela, il fallait de l'argent.
Le supérieur général des Missions Africaines, le Père Planque, s'adressa à M. Bérard, député de Lyon, afin qu'il intervienne auprès du ministère français des Affaires étrangères et du sous-secrétariat des colonies. Il voulait convaincre ces messieurs de Paris du caractère patriotique de son entreprise à Choubra. Cette demande était appuyée par le consul de France au Caire, le marquis de Réverseaux. En effet, auprès du séminaire, les Pères voulaient établir différentes oeuvres, dont écoles et dispensaires. Pour cela, ils espéraient une aide du gouvernement français. De plus, il faudrait des religieuses pour ouvrir un dispensaire et une école pour filles.
Les Frères des Ecoles chrétiennes avaient ouvert une école, le premier Collège Saint Paul, dans une ancienne villa au No 4 de la rue Chitty bey à Guéziret El-Badran en 1890. Ils avaient acheté cette propriété le 20 février de cette même année non loin du jardin de la princesse Houriya Hanem. Mais cette grande maison était insuffisante et inconfortable pour répondre aux besoins de l'avenir. A cette époque, Choubra avait un aspect rustique. Les villas se détachaient dans la verdure de jolis vergers auprès de palais aux murailles hautaines, comme ceux d'Anga Hanem ou de Ciccolani. Il n'y avait guère de maisons de rapport, mais des marais incommodants étaient l'aspect négatif de ce quartier de Choubra.
Ce fut le Frère Gervais qui se lança dans cette entreprise de Choubra en 1890. Les débuts de cette école furent laborieux. La maison était vaste, mais peu confortable. Le Frère Gervais fut assisté, dès les débuts, par les Frères Sagittaire, Louis et Gabriel. Le Frère Sagittaire, presque septuagénaire, répétait à ses collaborateurs devant les premières difficultés: "Dieu a soin de marquer au coin de la souffrance les oeuvres qui doivent durer". Combien il eut raison! Plus tard, en 1910, cette première école de Choubra des Frères des Ecoles chrétiennes alla s'installer dans de nouveaux locaux construits sur l'ancienne propriété d'Anga Hanem, achetée par les Pères des Missions Africaines en 1893. Les Frères achetèrent aux Pères 6.133 mètres carrés de terrain pour le prix de 709.741 piastres. Le contrat fut signé le 10 juin 1910 par le Père Francisque Villevaud en sa qualité de visiteur des Missions Africaines de Lyon et par le Frère Godefroy, visiteur des Frères des Ecoles chrétiennes en Egypte. Aussitôt, les Frères entreprirent la construction de leur maison près de la nouvelle cathédrale Saint Marc alors que les Pères des Missions Africaines bâtissaient, eux aussi, une nouvelle demeure pour abriter le séminaire, abandonnant ainsi le palais vétuste d'Anga Hanem qui devint, par la suite, la propriété des Soeurs de Notre-Dame des Apôtres. Le terrain entourant le palais d'Anga Hanem était vaste et il pouvait recevoir toutes sortes d'oeuvres.
Dans une lettre adressée au préfet apostolique du Delta, le Père Duret, datée du 20 mai 1893, le Père Planque s'étonnait d'une nouvelle attitude du consul de France, le marquis de Réverseaux: "Quant à M. de Réverseaux, je ne comprends pas qu'il trouve mauvais aujourd'hui ce qu'il trouvait bon hier et même très désirable"…
L'argent n'est jamais un véritable problème et les choses s'arrangent toujours. Les séminaristes de Mahalla vinrent s'installer dans le palais d'Anga Hanem sous la direction du Père Jules Girard. Il faut noter la raison de la présence des séminaristes des Missions Africaines en Egypte et non à Lyon comme précédemment. Une nouvelle loi en France exemptait du service militaire les jeunes qui partaient faire leurs études à l'étranger, ce qui leur permettait de poursuivre leurs cours sans interruption. Les Missions Africaines décidèrent donc d'établir leur séminaire en Egypte, à Mahalla El-Kobra, d'abord, puis à Choubra. Là, le palais d'Anga Hanem pouvait recevoir de 30 à 40 séminaristes. Une grande salle de 33 mètres de long fut transformée en chapelle.
Le préfet apostolique du Delta, le Père Duret, quitta Tanta pour venir résider à Choubra. Ce fut, avec le déménagement du séminaire, la première étape de la nouvelle histoire du palais d'Anga Hanem. L'année suivante, en avril 1894, ce fut la fondation de la paroisse Saint Marc de Choubra.
Le dimanche des Rameaux 8 avril 1894, le second jour des fêtes du Petit Baïram, la chapelle du palais de Anga Hanem, qui n'avait servi qu'aux séminaristes des Missions Africaines, s'ouvrait au public. La paroisse Saint Marc de Choubra commençait ainsi ses premières activités. Ce fut le Père Jules Girard, devenu plus tard vicaire apostolique latin d'Héliopolis, qui fut chargé de la direction de la nouvelle paroisse dépendant de la préfecture apostolique du Delta du Nil que dirigeait le Père Augustin Duret résidant lui-même à Choubra. Le Père Jules Girard était secondé par le Père Don Celso Sironi, indispensable en raison de sa connaissance de l'italien, langue de certaines familles installées récemment à Choubra ou dans les environs.
Cette première journée de vie paroissiale fut marquée par un baptême. En page une, le registre des baptêmes porte cette mention: "Registre des baptêmes à partir du 8 avril 1894 jour où les R.R. P.P. des Missions Africaines de Lyon ont commencé à exercer le ministère paroissial à Choubra, Faggalah et Abbasseïa, etc.". Ces trois quartiers mentionnés ne faisaient pas partie intrinsèquement de la ville du Caire et commençaient seulement à s'urbaniser. Ce premier baptême fut administré à une petite fille nommée Alicia Vincentia Angelina. Ses parents étaient Maltais. Le baptême fut célébré par le Père Dartois des Missions Africaines.
Cette nouvelle paroisse de Choubra comprenait, à ses origines, près de 180 familles latines dispersées depuis Choubra jusqu'à Abbasseïa, le long de la route de Zeitoun, Matarieh et Marg. Deux ou trois foyers catholiques habitaient dans la région du Barrage de Mohamed Ali au nord de Choubra.
Durant la première année, 15 à 20 personnes assistaient aux offices. Le 15 août 1894, M. Zimmermann, de Cork en Irlande, reçut une lettre d'Egypte lui réclamant une cloche pour Choubra. Ce M. Zimmermann était certainement un bienfaiteur de la nouvelle paroisse. Dans cette lettre, il lui était signalé que les gens ne vont pas à la messe faute d'entendre sonner la cloche qui en indique l'heure.
La chapelle, aménagée dans une salle de 33 mètres de long dans le palais d'Anga Hanem, avait besoin d'être décorée depuis qu'elle était devenue église paroissiale. Le Père Jules Girard fit appel à un artiste français qui travaillait au Collège Saint Louis de Tanta à décorer la chapelle avec des scènes de la vie du saint patron de cet établissement. Cet artiste n'était autre que le célèbre Emile Bernard qui peignit de nombreuses toiles admirables sur des scènes de la vie égyptienne.
Emile Bernard arriva donc au Caire au courant de l'année 1894 et entreprit de décorer l'église paroissiale de Choubra. Il commença son travail et peignit d'abord une admirable fresque représentant Saint Pierre envoyant Saint Marc en Egypte. Saint Pierre, en chef de l'Eglise, pointait un doigt autoritaire, au-delà des mers, vers les pyramides d'Egypte et les moissons blanchissantes.
Mais le Père Jules Girard, qui était en même temps curé de la paroisse et supérieur du séminaire, trouva vite qu'il était peu convenable qu'un laïc, plus un artiste, demeurât parmi les séminaristes, son style de vie dénotant un peu. Le Père Girard fit part de ses réflexions à Emile Bernard. Ce dernier fut vivement choqué, ramassa ses pinceaux et quitta les lieux.
Emile Bernard alla loger dans une famille syrienne au Caire, les Saati, puis il loua une partie du vieux palais de Bahari près du Mousky. Là, il fit la connaissance des Pères Franciscains, qui avaient un couvent attenant à la cathédrale latine du Caire. Les Pères Franciscains demandèrent à Emile Bernard de décorer leur chapelle de la Vierge dans la cathédrale. C'était pour Emile Bernard une bonne revanche sur les Pères d'Anga Hanem ainsi qu'une reconnaissance de son talent. Dans cette chapelle, Emile Bernard peignit une grande composition sur le thème du voyage de la Sainte Famille en Egypte.
Par la suite, Emile Bernard décora le théâtre du Collège des Frères des Ecoles chrétiennes à Khoronfish ainsi que celui du Collège Saint Paul de Choubra. Dans ces deux salles de théâtre, Emile Bernard peignit les rideaux, les coulisses et les décors nécessaires.
Ce passage d'Emile Bernard au palais d'Anga Hanem fut comme une parenthèse dans la vie paisible du séminaire et de la jeune paroisse Saint Marc.
Les premières années de la paroisse Saint Marc de Choubra connurent de nombreuses activités dont la construction de la cathédrale et d'une nouvelle maison pour les Pères des Missions Africaines et les séminaristes.
La première pierre de la cathédrale fut posée par le préfet apostolique du Delta du Nil, le Père Augustin Duret, le 8 décembre 1907. Les travaux de construction commencèrent aussitôt. En 1910, la nouvelle cathédrale fut ouverte au culte bien qu'étant encore inachevée. Il lui manquait encore les trois clochetons de la façade. En même temps, en 1910, les Pères des Missions Africaines et les Frères des Ecoles chrétiennes construisirent leurs nouvelles résidences de part et d'autre de la cathédrale. Les Pères quittèrent alors le palais d'Anga Hanem qui fut remis aux Soeurs de Notre-Dame des Apôtres.
Pendant ce temps, Choubra s'était développé et avait perdu son aspect campagnard. En 1917, Choubra était devenu une véritable ville avec 84.544 habitants selon un recensement. Choubra n'était plus relié au Caire par un pont étroit, enjambant les voies ferrées, mais par un superbe et large pont à structures métalliques. Ce pont existait dès 1898. En effet, lors du retour de Saad Zaghloul de son premier exil la foule s'était massée sur le pont de Choubra pour l'accueillir et l'acclamer alors qu'il descendait du train.
En 1926, les Frères des Ecoles chrétiennes acquirent un nouveau terrain afin d'y construire une école gratuite dans l'enclos même de leur Collège Saint Paul. Ce fut l'école Saint Pierre qui fut bénite le dimanche 30 août 1936 par le Père Adrian, curé de la paroisse Saint Marc de Choubra. Le 7 septembre de la même année, la nouvelle école ouvrait ses portes.
Les Pères des Missions Africaines, parmi toutes leurs activités paroissiales et spirituelles, avaient formé un groupe de laïcs appelé "Cercle Saint Marc" qui possédait son bulletin. Le cercle organisait de nombreuses conférences, des spectacles, des fêtes et des promenades.
Ce fut à Choubra que naquit la revue "Le Rayon", l'ancêtre du "Messager" le seul hebdomadaire catholique d'Egypte actuellement. Au mois de janvier 1928, avec les encouragements du vicaire apostolique latin d'Egypte, Mgr Jules Girard premier curé de Choubra, les Pères des Missions Africaines lancèrent une nouvelle revue qui s'appela d'abord "Le Rayon" pour devenir par la suite "Le Rayon d'Egypte".
Les six premières années du "Rayon" furent une réussite avec plus de 2.000 abonnés et une édition spéciale pour le Canal de Suez. En 1937, la revue s'appela "Le Rayon d'Egypte", ayant pris une allure beaucoup plus égyptienne que dans les premières années. "Le Rayon d'Egypte" disparut avec son dernier numéro le 23 juin 1957. Il avait vécu 29 ans et 6 mois. Il fut remplacé, en 1958, par "Le Messager".
En 1928, quatre cloches arrivèrent pour la cathédrale Saint Marc qui était complètement achevée et pouvait les recevoir dans son beffroi dominant la façade. Ces quatre cloches reçurent les noms de Marc, Paul, Regina et Thérèse. Chaque cloche portait une devise selon la tradition: Marc: "Je suis la voix de celui qui crie: préparez la voie du Seigneur", Paul: "Si vous entendez aujourd'hui sa voix, n'endurcissez pas vos coeurs", Regina: "C'est moi l'humble servante qui réjouit par ma mélodie le coeur de mon Seigneur", et enfin Thérèse: "Rosa memento spargere. Laus Deo".
Ces quatre cloches furent bénites le dimanche 18 mars 1928 par Mgr Jules Girard. Mais il fallut attendre le mois d'août suivant pour entendre leur voix. Elles carillonnèrent pour la première fois le 1er août 1928 à la joie de tout le quartier. Ce jour là, M. Jean Burnat donna le coup d'essai après avoir vaincu toutes les difficultés d'installation des cloches dans le beffroi. Ainsi, le 1er août, pour la première fois, la voix grave de Marc se fit entendre suivie de celle de Paul et accompagnées, ensuite, des notes claires et joyeuses de Regina et Thérèse. Les jolies dentelles, qui avaient servi à la consécration de Regina et Thérèse servirent à faire des aubes pour les enfants de choeur de la cathédrale Saint Marc grâce à l'habileté des ouvroirs de Notre-Dame des Apôtres et de Marie Réparatrice, un couvent qui se trouvait à l'entrée de Choubra.
Le carillon de Choubra ferma une première tranche de l'histoire de ce quartier et en ouvrit une autre. Si la paroisse Saint Marc était florissante ainsi que le Collège voisin des Frères, il y avait encore, toujours dans l'ancien enclos du palais d'Anga Hanem, les activités des Soeurs de Notre-Dame des Apôtres, dispensaire et école, qui débutèrent en 1894.