Plaine de désolation à Taphnis

Jeudi 28 Mars 2019-00:00:00
' Père Gérard Viaud

De l’ancienne place forte de Taphnis, il ne reste plus que quelques Tels au milieu de la désolation d’une plaine désertique et aride en bordure du lac Menzala.

Taphnis, encore appelé Daphnae ou Tel Defenneh, se trouve à 13 kilomètres 500 à l’ouest du Canal de Suez non loin de la ville d’El-Qantara et du lac Menzala. Taphnis était une ancienne cité pharaonique et une place forte.

En fait, le site de l’ancienne place forte de  Taphnis s’étend sur plusieurs Tels: Tel Défenneh, Tel El-Afran, Tel El-Fadda et Tel El-Septieh. Tous ces tels sont situés dans un domaine où les bédouins règnent en maîtres et qui se dénomme “Guéziret Oum Atlah et Haramah”.

Taphnis eut son importance comme place forte quand les pharaons abandonnèrent la cité de Thèbes, leur capitale du sud, pour construire la Thèbes du nord à Tanis.

A en croire l’historien et voyageur grec Hérodote (484-420 avant Jésus-Christ), Taphnis remonterait à la plus haute antiquité. Seules les fouilles pourraient permettre d’éclairer cette assertion du touriste grec, 400 ans avant notre ère.

Les fouilles archéologiques de Flinders Pétrie au XIXème siècle ont mis au jour quelques indices de la période ramesside à Taphnis, dont quelques pièces sont conservées au Musée d’Ismaïlia. Il semble que la place de Taphnis ne fut vraiment florissante qu’à la basse époque et plus particulièrement au temps de la XXVIème dynastie sous les règnes de Psammétique 1er à Amasis, c’est-à-dire entre les années 663 à 525 avant Jésus-Christ. Ce fut pendant cette période que Jérémie vécut en exil à Taphnis.

Taphnis faisait alors partie du XIVème nome de la Basse-Egypte appelé “Hont-Abot”, le commencement de l’Orient; c’était le “nomus tanites”, dont la capitale était Tanis. Cette cité de Taphnis avait été construite sur une déviation du Nil, ou canal de Zarou, qui irriguait les champs de Zoan situés entre Tanis et le désert oriental au sud du lac de Menzala. C’était la région privilégiée des bédouins qui y faisaient paître leurs troupeaux. Dans cette région du canal de Zarou, les nombreux vestiges découverts attestent une prospérité relative de cette région éloignée d’Egypte.

Taphnis se trouvait ainsi en bordure de cette zone de Zarou que certains auteurs appelaient les champs de Tsoan, un des noms de la cité de Tanis. Les constructeurs de cette place forte de Taphnis avaient choisi un site assez écarté des zones peuplées, car les mercenaires qui l’occupaient avaient souvent des relations tendues avec les populations. Ces mercenaires étaient des Phéniciens, des Cariens, des Ioniens, etc... recrutés par les pharaons pour surveiller les frontières de l’Egypte. Ils étaient commandés par des officiers égyptiens.

Taphnis était aussi une ville étape sur l’une des grandes voies d’accès de l’Egypte, la fameuse route d’Horus, pour les voyageurs, les commerçants et les armées. Cette route, qui venait d’El-Ariche et Péluse, passait par El-Qantara, Taphnis, Facous, Bubaste, Belbeis et arrivait à Héliopolis.

Ce qui a été dégagé des ruines de Taphnis donne une idée de l’impact stratégique de ce haut lieu militaire. Taphnis avait sa garnison, son hôtellerie avec un point d’eau et des magasins de ravitaillement.

Taphnis et la ville d’Alexandrie gardent le souvenir du prophète Jérémie.

En effet, en 585 avant Jésus-Christ, Jérémie quitta son pays, ne pouvant plus y vivre en paix, et vint se réfugier en Egypte avec ses compagnons. Il s’installa à Taphnis, la Tahpanhès de la Bible. “Ils entrèrent dans le pays d’Egypte... et ils vinrent jusqu’à Tahpanhès” (Jérémie 43: 7).

En arrivant à Taphnis, Jérémie fit ensevelir de grosses pierres avec du ciment devant “la maison du pharaon” et prédit que le roi de Babylone Nabuchodonosor viendrait placer son trône sur ces pierres lorsqu’il envahira le pays d’Egypte. Cette prophétie se réalisa en 568 sous le règne du pharaon Amasis, mais ce ne fut qu’un raid dévastateur sans être suivi d’occupation.

Ce fut à Taphnis que Jérémie écrivit la plupart de ses livres, ou du moins les dicta à son secrétaire Baruk. Son livre des “Lamentations” semble avoir été écrit à Taphnis, car il révèle les sentiments d’un exilé, de celui qui souffre et se lamente sur ce qu’il a perdu.

Jérémie se lamentait si bien qu’il était devenu odieux à ses compatriotes qui le lapidèrent en 583, du moins selon certaines traditions. Il fut enterré sur place et son tombeau devint, par la suite, un lieu de pèlerinage. La poussière prise sur la tombe servait à éloigner les aspics et les crocodiles et aussi à s’en protéger.

Plus tard, après la fondation d’Alexandrie en 331 avant Jésus-Christ, Alexandre le Grand fit transporter les restes du prophète Jérémie dans sa nouvelle cité et ils furent déposés sous le portique du Tétrapyle, situé sur la grande artère de la ville allant d’est en ouest.

Certains écrivains ont raconté que le philosophe grec Platon (429-347 avant Jésus-Christ) aurait rendu visite à Jérémie lors de son voyage en Egypte. Il aurait voulu s’initier à sa sagesse. Mais cela est invraisemblable étant donné que Jérémie était mort depuis longtemps. D’ailleurs, Saint Augustin réfuta cela dans son livre des “Retractationes” (1: 4) et son “De Doctrina Christiana” (11: 28).

Un autre souvenir du prophète Jérémie se trouverait en France, en la cathédrale du Puy. En 1254, le roi de France Louis IX apporta au Puy une statuette de la Vierge que le sultan d’Egypte lui avait donnée. Selon la tradition, cette statuette aurait été sculptée par Jérémie lors de son séjour à Taphnis, alors qu’il annonçait la destruction des idoles par un Dieu qui naîtrait d’une Vierge. Mais rien n’est certain au sujet de cette tradition, et il est possible que Louis IX ne rapporta qu’une statuette d’Isis portant l’enfant Horus, statue qui ressemble étrangement à celle de Notre-Dame du Puy.

Autre souvenir à Taphnis, ce serait le passage de la Sainte Famille, une étape traditionnelle des voyageurs venant de Palestine pour se rendre en Egypte.